Cette table ronde a associé :
- Inès, membre de Cheer Up EDHEC (École des Hautes Études Commerciales du Nord)
- Anastasia Meidani, maître de conférence en sociologie à l’Université de Toulouse 2 et chercheure au Laboratoire Interdisciplinaire Solidarités, Sociétés, Territoires (LISST-CERS), co-auteure de Masculinités et féminités face au cancer; Expériences cancéreuses et interactions soignantes.
- Olivier Jérôme, président de l’association CerHom, association de patients atteints de cancers masculins.
- Stéphane Cognon, pair-aidant, auteur de Je reviens d’un cancer du sein, et comment je me suis rapproché des femmes.
- Sandra Doucène, directrice de Cancer Contribution.
En abordant le thème des inégalités ou des disparités entre hommes et femmes dans la lutte contre le cancer, Cancer Contribution ouvre un chantier aux multiples aspects. Traiter le sujet nous semble indispensable sur une plateforme dédiée à la démocratie en santé. Cette table ronde est donc l’introduction d’un cycle. Elle sera donc suivie tout au long de 2021 de nombreuses interventions de patients, experts, représentants du corps médical… afin de nourrir les débats et tenter d’y voir plus clair sur un sujet où les idées reçues et les a priori ne manquent pas.
Les hommes plus nombreux que les femmes à être touchés par le cancer et à en décéder
Le constat sur l’insuffisance de la prise de parole des hommes atteints de cancer est connu,
comparé à la mobilisation et à la solidarité des femmes dans la même situation. Il en résulte des
conséquences dommageables pour les hommes, en particulier une faiblesse ou des retards,
également bien identifiés, des actions de prévention et de dépistage des cancers masculins.
Par exemple, le dosage de la PSA, marqueur du cancer de la prostate, n’est pas toujours systématique, et est peu médiatisé. Le mouvement « Movember » reste encore en deçà de
l’audience « d’Octobre Rose ». Si l’on compte près de 1200 associations de patients et de proches en France qui luttent contre le cancer, très peu se mobilisent sur les questions qui préoccupent les hommes en termes de prévention, de dépistage ou d’effets secondaires spécifiques. En France du moins, les pertes de chance face à la maladie pour les hommes, aujourd’hui plus nombreux que les femmes à être atteints par la maladie et à
en décéder, sont réelles. Anastasia tire donc le constat qu’on ne peut pas parler de disparités ni de différences mais bien d’inégalités, voire d’inégalités sociales.
Les inégalités sociales de santé* couvrent les différences d’état de santé entre individus ou groupes d’individus, liées à des facteurs sociaux, et qui sont inéquitables, c’est-à-dire moralement ou éthiquement inacceptables et qui sont potentiellement évitables. Il peut s’agir d’éléments structurels d’ordre général (par exemple des politiques) ou liés aux individus (genre, comportement, revenus…) qui engendrent des écarts importants concernant l’espérance de vie, l’accès aux soins ou leur usage…
Des pistes d’amélioration pour la prise de parole des hommes
Les témoignages d’Olivier Jérôme, Président de CerHom (« la fin du cancer et le début de l’homme ») et de Stéphane Cognon permettent d’avancer des pistes d’action.
Olivier a été atteint par un cancer à l’âge de 30 ans. Son premier réflexe en s’apercevant qu’un de ses testicules devenait plus petit, fut d’attendre malgré son inquiétude. Il laissera passer 3 mois avant de consulter. Heureusement son cancer aura été détecté suffisamment tôt. Pour répondre à toutes les questions que soulevaient cette maladie, et face au manque de réponses et de visibilité des cancers masculins, il crée sous l’impulsion de son médecin et d’autres patients, CerHom (Fin du canCER et début de l’HOMme).
Bien entendu une plus large sensibilisation auprès des hommes est indispensable. CerHom a conçu et diffuse des clips avec le ton de l’humour sur le dépistage du cancer des testicules, relaie « Movember » et offre des espaces de discussion entre hommes. Ces campagnes de sensibilisation sont indispensables insiste Anastasia Meidani, mais pourvu qu’elle soient précises, adaptées à l’inévitable diversité des situations et sans injonction culpabilisante. Le partie pris proposé par l’association, comme le décrit Olivier est de mettre en avant des informations sur le dépistage par des « anciens » vers des « plus jeunes » à travers l’humour. Plutôt que de montrer des séquelles, cicatrices, qui sont en général peu présentes dans le cancer de la prostate ou du testicule, Olivier propose de mettre en scène de manière décalée et percutante un message qui s’il est perçu comme dôle et relayable pourra être mieux reçu par la gent masculine.
De son côté Stéphane, a été touché par un cancer rare chez les hommes : un cancer du sein. Moins de 500 hommes en France sont diagnostiqués chaque année. Loin de se douter de ce qu’est cette petite boule, il ne consulte pas tout de suite et tombe des nus en découvrant que c’est possible. Il entame un parcours contre la maladie au côté de sa compagne alors enceinte de leur 3ème enfant et découvre un monde de soin dédié aux femmes. Les seuls hommes rencontrés sont des aidants peu à même d’échanger avec lui. Il trouvera au fil de son parcours, que les petites conversations sur des sujets du quotidien semblant anodins sont incroyablement utiles et riches d’astuces pour lutter contre les effets secondaires. Riche de son passé, déjà affecté par une autre maladie chronique, il est devenu pair-aidant. Stéphane souligne la valeur irremplaçable du témoignage de l’ancien patient qui va à la rencontre des malades pour échanger sur les symptômes, les traitements… en toute confidentialité. « Les soignés deviennent des soignants », avec empathie et sans jugement. La parole libère la parole et contribue à enlever un poids sur des épaules d’hommes qui ressentent de la culpabilité d’être faible et malade, et à les rendre plus autonomes. Il publiera de ces expériences deux livres.
Les soignés deviennent des soignants.
Stéphane Cognon, pair-aidant
L’élargissement des champs de discussion permis par les plateformes de démocratie en
santé
L’expérience de Cancer Contribution tend à montrer que sur le web les hommes sont relativement peu actifs dans les échanges qui suscitent une forte émotion et un engagement personnel. Par exemple les outils de sondages recueillant des informations portant directement sur des sujets de santé ont une audience majoritairement féminine, avec un ratio généralement autour de 80/20. « Rechercher une représentativité des besoins de la population en termes de genre devient un vrai travail de conviction. Ceci peut avoir des conséquences par le manque de réponses apportées et de services développés incluant les préoccupations des hommes. » indique Sandra Doucène.
En revanche sur les sujets plus désincarnés et distanciés, d’intérêt général, leur participation est plus importante. Faire réfléchir à des pistes de solutions sur une problématique générale semble plus facile. Si cette tendance se confirmait, elle ouvrirait des perspectives concrètes pour mieux inclure la parole des hommes dans les débats et la mettre en valeur. Dans le même temps, cela confirmerait le grand intérêt des outils de démocratie en santé présents sur le web pour faire évoluer la prise en charge.
Les femmes un modèle de force morale face à la maladie ?
Tous les intervenants ont rappelé la grande attention que les femmes portent habituellement à leurs corps et la familiarité qu’elles entretiennent avec celui-ci. Anastasia Meidani rappelle que d’un point de vue social et culturel, les femmes sont très tôt engagées à suivre leur santé (grossesse, contraception) tandis que les hommes sont encouragés à intérioriser voire à nier leurs maux. Elle souligne en particulier leur relative facilité par rapport aux hommes de mettre en mot leurs maux. On peut également estimer que les femmes en phase de rémission sont plus portées à surmonter l’épreuve qu’elles ont traversée en effectuant un retour sur elles-mêmes et réévaluant les valeurs réelles qui les portent dans la vie. A. Meidani insiste sur le fait que le cancer, dans ce contexte de résilience, peut être « une ressource », voire un « gain » et non pas « une perte ». Pour elle « vivre avec la maladie » grâce à la mise en mots et une réflexion sur soi est plus enrichissant que développer une « rhétorique guerrière » contre elle.
Il y a toutefois un domaine dans lequel les femmes ont été d’emblée et longtemps exclues : l’inclusion dans les essais cliniques. L’industrie pharmaceutique estimait en effet que les variations hormonales des femmes entraînait des risques d’hétérogénéités dans les données recueillies. Ce n’est que récemment (une quinzaine d’années en Europe, une trentaine aux Etats-Unis) qu’il est obligatoire d’inclure les femmes qui le souhaitent et qui le peuvent dans des essais cliniques. Mais encore aujourd’hui, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à être incluses dans les essais. On invoque un manque de disponibilité des femmes, une insuffisance de volontaires, des risques de certains essais sur la fertilité… D’où là également une perte de chances, cette fois-ci au détriment des femmes.
Pour voir ou revoir le webinaire de la table ronde
* Fiche thématique Que sont les inégalités sociales de santé ? Vie-publique.fr